En 1906, les enfants sages lisaient "L'écolier illustré" édité par la Compagnie anglaise dont les bureaux belges étaient installés sur la Place de Brouckère à Bruxelles. La revue était parée de superbes illustrations et la société belge constituait vraisemblablement une succursale de "L'écolier illustré" publié en France, par la librairie Ch. Delagrave. A la différence de l'hebdomadaire bruxellois, le français paraissait tous les jeudis. En Belgique, l'illustré sort chaque dimanche.
Le 8 juillet 1906, le petit journal imprime un dossier sur les visions futures de leurs jeunes lecteurs. L'avenir vu dans la lorgnette du passé, a toujours quelque chose de particulièrement exotique. Nous sommes le futur qu'ils imaginaient et force est de constater qu'il nous est bien étranger.
Morceaux choisis
¤ sur l'homme (de l'impact du racisme ambiant). "Peut-être, comme l'assure un jeune statisticien, les nègres et les peaux-rouges auront-ils disparu, laissant les Européens et les Japonais se partager la surface du globe. Il se peut encore que les Chinois, ces vilains hommes à peau jaune, ayant secoué la torpeur qui les engourdit, se lèvent en masse et viennent anéantir les enfants de la vieille Europe... assez bêtes pour les instruire de leurs découvertes.
Les enfants d'antan sont cependant semblables à ceux d'aujourd'hui. La paix les préoccupe et le futur leur apportera toutes les promesses de trêve.Quand on aura inventé des machines infernales qui en cinq minutes, et même moins, pourront détruire un pays entier, par exemple l'Allemagne et tout autour des fragments de la Russie, de l'Autriche, etc... (...) il faudra bien se résoudre à remiser tout ce matériel diabolique dans les musées d'artillerie rétrospective; et voilà la terre en paix pour le restant de ses jours!
¤ sur la robotisation. Les moyens de transport se multiplient et les distances se raccourcissent. C'est le leitmotiv des jeunes du début du XXe siècle. On porte dans le dos un petit moteur, qui, sur une pression, met en mouvement deux ailes élévatoires. Des souliers-moteurs à patins rebondissants permettront aux voyageurs de parcourir de longues distances sans effort.Certains ont imaginé un tramway aérien venant cueillir familles et bagages sur le toit de leur habitation. Quelques secondes plus tard, les voilà installés confortablement dans le chemin de fer sous-marin qui relie Paris à New York. Ou encore dans l'Antipode-Express, ce métropolitain audacieux qui pique droit au plus court, par le centre de la terre, sans plus s'inquiéter du feu central. Jules Verne impressionne vraisemblablement les jeunes esprits de l'époque. Un tube à air comprimé permettra d'assurer le transit jusqu'au fond des océans.
En l'an 3000, on vivra sous l'eau tout aussi bien que sur le plancher des vaches : immenses sanatoriums sous-marins, cures d'eau salée à haute pression, sous-marins qui font office de fiacres...
Les airs seront également encombrés: dirigeables, ballons, hélicoptères, aéroplanes... Et l'on voit encore plus loin puisqu'il sera courant de passer ses vacances dans la Lune. Un savant, qui, dans sa maison volante, s'est approché de la planète Mars à une trentaine de millions de kilomètres, certifie qu'à l'aide d'une lunette puissante il a vu des villes et des monuments... Le hic, souligne le rédacteur de l'article, c'est que ballons, voitures ou vaisseaux ne peuvent se déplacer sans atmosphère. Ce journaliste était loin de savoir que l'impossible allait se réaliser dans une cinquantaine d'années.
La machine a pris le pas sur l'humain. Et c'est ainsi partout, écrit l'auteur du dossier : les machines remplacent la force humaine. Au lieu de l'enfantine mine aux mineurs, de l'horrible charnier souterrain de Courrières, voici la mine sans mineurs, où seul pénètre l'extracteur automatique, insensible au coups de grisou.
¤ sur les énergies
alternatives. La mine même est en voie de disparition. Sans attendre sottement que le dernier filon du Yunnan ait livré sa dernière tonne d'anthracite, nos arrière-neveux ont emprunté la force motrice à la houille blanche des cataractes, aux inépuisables réservoirs d'énergie du feu central et du soleil.
¤ sur la semaine de moins de 7 minutes de travail quotidien. Grâce à cette simplification prodigieuse de la main d'oeuvre, l'ouvrier le plus "exploité" ne travaille qu'une heure vingt par an. En outre, le collège sera aboli, sinon à quoi serviraient les machines à apprendre? Et puis, on a étendu les bienfaits du suffrage universel à tous les êtres réputés raisonnables, par conséquent aux fillettes et aux garçons. Vous devinez le résultat: les institutrices, toujours en minorité, obéissent et font les pensums; les élèves commandent avec une écrasante majorité: Les écolières se pavanent sur des fauteuils, n'écoutant que d'une oreille les conseils de leur maîtresse... Quand on y réfléchit bien, on n'est pas trop loin de cette réalité émergente. Mais je ne suis pas persuadée que le suffrage universel ait été accordé aux gens raisonnables...©
(A Suivre)
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