vendredi 27 avril 2018

Port Sunlight, une cité propre comme un sou neuf

Extrait de l'Almanach illustré du Soir 1920
En feuilletant l'album "A travers le Monde" de l'année 1906, je suis tombée sur un article surprenant au sujet de Port Sunlight qu'on tenait pour une cité ouvrière modèle en Angleterre, au début du XXe siècle. Tout le monde connaît bien entendu le savon Sunlight. Je me souviens que ma grand-mère prononçait "sunlich'ttt". Ce qu'on sait sans doute moins, c'est qu'au début du XXe siècle, les frères Lever, créateurs du fameux savon, avaient établi leur cité industrielle, Port Sunlight non loin de Liverpool. Au XIXe siècle, cet endroit est un vaste marécage sillonné par un ruisseau, sur les bords de la rivière Mersey.

Il ne s'agissait pas d'un complexe industriel comme les autres, mais d'un village modèle construit à l'intention des ouvriers de l'entreprise, dès la fin du XIXe siècle. C'est une localité verdoyante ponctuée de huit cents maisons pimpantes entourées de jardins.  

"Toutes les rues, larges de 10 mètres en moyenne, sont bordées de trottoirs de 3 à 4 mètres, flanqués eux-mêmes de pelouses gazonnées de 6 à 7 mètres", décrit l'article d'"A travers le Monde". "Après seulement viennent les maisons, chacune d'elles ayant par derrière un jardin que le locataire cultive comme il l'entend. Quant aux pelouses de la rue, ce sont les jardiniers de MM. Lever, qui en entretiennent et fauchent le gazon."

"Feuille d'avis de Neuchatel et du vignoble neuchatelois", 28 mars 1895
Entre 1899 et 1914, 3500 habitants ont peuplé cette cité modèle qui comprenait aussi une galerie d'art, un hôpital, des écoles, une salle de concert, des magasins coopératifs, une piscine, une église,...  Qui plus est, la population est invitée à s'affilier à diverses associations culturelles ou sportives. Des systèmes sociaux et des loisirs sont proposés aux travailleurs. 

Il y avait notamment le Gladstone Hall, un grand restaurant où les ouvriers peuvent réchauffer leurs repas. Le Hulme Hall permet aux femmes de manger un repas complet qui comprend soupe, viande, pommes de terre, tarte, pain et beurre (30 centimes, environ 1€ aujourd'hui). Des associations de prévoyance y ont également été créées : société de secours mutuelle, prêts, caisses d'épargne, etc. 

"Il y a tant et tant de misérables", affirmait M. Lever, "que la charité, si active qu'on veuille la supposer, ne parviendra jamais à leur venir en aide. Nous n'arriverons à guérir nos maux sociaux qu'en dirigeant habilement nos affaires pour le grand bien de tous."  

Les bénéfices des savons Sunlight étaient ainsi répartis : frais d'exploitation, publicité, rétribution de la direction et part du personnel à titre de participation aux bénéfices. Ce qui représentait, en 1906, 200 francs par tête (environ 732 € à l'heure actuelle). M. Lever ne rétrocédait toutefois pas cette somme à ses ouvriers et employés parce qu'il estimait que ceux-ci en feraient un usage futile. "... si vous me laissez cette somme, je l'emploierai à améliorer les conditions de votre existence. Vous aurez des maisons agréables à habiter, jolies à regarder ; vous aurez des plaisirs sains et intelligents." Paternaliste tout de même !

La coquette petite ville de Port Sunlight affichait un taux de mortalité nettement moins élevé que celle de Liverpool. La mortalité n'y était, en effet, que de 9% tandis qu'elle était de 22%  à Liverpool.