jeudi 16 juin 2016

Lâche-moi les slaches, c'est reparti comme en 40!

Nous sommes en 1940. La guerre ne fait que commencer. Les temps sont durs mais Bruxelles garde la zwanze (en bruxellois, ça fait référence à l'esprit de Bruxelles, à son humour particulier). L'humoriste Marcel Antoine publie l'almanach de Slache, une petite perle d'humour caustique, retrouvée dans le grenier de ma grand-mère qui fut, elle aussi, une Brusseless bon teint. Une slache, c'est une sandale, une pantoufle usée.

En réalité, l'almanach en question n'a rien d'un almanach classique. Gouailleur, l'auteur signe une savoureuse préface en forme de question sur l'utilité de cet almanach qui n'en est pas réellement un. "Ceci évidemment ne vous dit toujours pas pourquoi j'ai fait cet almanach... Ma foi, n'approfondissons pas... (Glissez, mortels... comme disait Lancret). Faites-moi la grâce de lire ce petit bouquin jusqu'au bout et vous finirez peut-être par vous dire que je n'ai pas eu tort de le publier." Tout-à-fait. 
 
Comme tout bon almanach qui se respecte, celui de Slache comprend des prévisions astrologiques mais pas exactement comme les autres. "J'en conclus qu'en raison des lunaisons bénéfiques et maléfiques conjuguées lors de l'entrée du Soleil dans le Cancer en passant par l'escalier de service, l'année 1940 commencera par le mois de Janvier, comme les précédentes. Mais contrairement à celles-ci, elle sera rigoureusement bissextile." Durant l'été, le Fakir KAN-PY-HON annonce qu'une guerre sera possible. "Bruits de bottes en Septembre. Les belligérants déclenchant de part et d'autre de violentes attaques opéreront une retraite stratégique sur des positions préparées à l'avance. Les enfants nés entre le 12 et le 18 septembre auront de la chance à la belote. Ceux qui naîtront à la fin du même mois auront les pieds plats." Conclusion: il vaut mieux se munir du talisman de l'année, à savoir "un billet de première classe aller pour Miami (Floride). A défaut: un masque à gaz et douze cartes de ravitaillement."

Emaillé de caricatures, l'almanach laisse la part belle au bon mot et dégoupille sans cesse la grenade de l'humour et de l'autodérision. Témoin cette page de petites annonces. "Défendons-nous passivement", titre... Max Agaz qui livre à ses lecteurs la marche à suivre dans l'hypothèse où nous serions en guerre. "Si vous n'avez pas d'enfants... Un bon conseil: n'en faites pas!" L'administration bruxelloise fournit des sacs de sable. Pourquoi? "C'est très gentil, et tous ceux qui possèdent un chat dans leur appartement apprécieront  ce geste délicat. Evidemment, ce n'est pas là la véritable destination de ce sable. Celui-ci ne peut être utilisé que contre les bombes. Il s'agit donc de le répandre dans le grenier, aux endroits exacts où le projectile soit susceptible d'atterrir. En attendant, libre à vous d'y semer du gazon, des petits pois ou des fraises, mais je ne vous garantis pas l'éclosion parfaite de ces divers légumes." Il faudra aussi songer à aménager un abri dans une cave voûtée ou  à défaut, se retrousser les manches et creuser une tranchée dans le jardin. Une idée de génie est suggérée en fin: "Vous faites fabriquer un miroir assez grand pour recouvrir votre maison. Vous placez cette glace sur le toit de votre immeuble. L'aviateur belligérant qui se dispose à cracher ses obus cherche l'endroit possible. Il se penche et aperçoit, dans le miroir, l'image de son propre appareil. Comme il y reconnaît immédiatement un avion compatriote, il se garde bien de lui envoyer des pruneaux et... il va faire ça plus loin!"
Même les pubs sont de petits joyaux d'humour
 

samedi 14 mai 2016

Des enfants sages comme des chromos!

Bel objet que cet album publié par la S.A. Cacao & Chocolat KWATTA de Bois d'Haine (Belgique). Garni d'un premier plat en relie doré représentant une tête de tigre aux yeux émeraude, "Zoologie" comprend 200 chromos d'animaux. 

Le livre ne comporte pas de mention de date mais certaines sources indiquent qu'il pourrait dater des années 1930. L'entreprise chocolatière avait des visées nettement didactiques à l'époque, comme on le souligne en préface: "Or, il est évident que les manuels classiques d'Histoire Naturelle ne peuvent forcément donner qu'un nombre très restreint de reproductions d'animaux. De plus, la couleur fait généralement défaut. La présente collection comblera cette lacune."

La joie de vivre grâce au cacao KWATTA


L'histoire de la chocolaterie Kwatta commence à Breda (Pays-Bas) en 1883. Elle est le fruit de l'association d'un propriétaire de plantations, Jozef-Gustaaf Van Emden et d'une famille de pâtissiers confiseurs, les De Bondt. Cédée en 1889 aux frères Stokvis, la société installe une succursale à Bois d'Haine en Belgique. 

L'originalité de la marque est de produire, dès 1907, un bâton de chocolat sous emballage qui pèse entre 30 et 45 grammes. Auparavant, le chocolat était écoulé en morceaux. Durant la Première Guerre Mondiale, l'usine bois d'hainoise est restructurée et prend de l'ampleur. Dès la fin des hostilités, la firme se voit rénovée. Et les affaires marchent du tonnerre. En 1927, l'industrie chocolatière compte une cinquantaine d'usines en Belgique et la firme Kwatta de Bois d'Haine possède sept entrepôts sur le sol belge. L'usine produit jusqu'à 18.000 kilos de chocolat quotidiennement. Déjà à l'époque, la marque s'intéresse aux plus jeunes en proposant des matinées enfantines

Malheureusement, c'est dans le sillage de reprises et de restructurations que le glas sonnera, en 1974, pour l'unité de Bois d'Haine.

L'expression "être sage comme une image" n'aura jamais porté autant de signification qu'avec l'apparition des chromos. Encore aujourd'hui, il existe de nombreux collectionneurs prêts à mettre le prix pour obtenir l'album convoité. 

A l'époque, les marques avaient déjà bien compris l'intérêt publicitaire d'une telle démarche. Le marketing n'est pas né d'hier. Dès les années 1850, les marques ont proposé avec leurs produits, ces petites images colorées à coller dans de beaux livres. Et pour les obtenir, il fallait acheter ces produits. L'ère de la consommation moderne avait sonné.

Cette collection comprenait image et description des animaux répartis selon leurs ordres, classes et embranchements. Résolument pédagogique, l'album avait des allures de manuel scolaire mais en bien plus ludique et surtout il faisait la part belle aux couleurs. La publicité de l'époque était des plus simples: "Petits amis. Ce magnifique album, cette zoologie de grand luxe, c'est pour vous. Dégustez les fameuses nouveautés KWATTA BICA . FOURRE OR . FOURRE RHUM et vous pourrez être fier de votre nouvelle collection, la plus belle qui soit." 

vendredi 6 mai 2016

Les délicieuses poupées de Mmes Appleton et Cradock

Extrait de "Josette en famille"
C'est une petite perle graphique venue des années folles, que j'ai récemment découverte au fil de mes pérégrinations littéraires. Les dessins de Honor C. Appleton, dans la série des Josette (Josephine dans la langue originale anglaise), sont frais, ronds, gracieux, doux comme une pluie de pétales odorantes. L'artiste a capturé dans son trait souple et ses aquarelles tendres, le monde de l'enfance et son innocence. Honor Charlotte Appleton originaire de Brighton dans le Sud Est de l'Angleterre, est née le 4 février 1879 et décédée en 1951. Elle a essentiellement collaboré avec Mme H. C. Cradock qui a imaginé les histoires d'une petite fille nommée Josephine et de ses poupées friponnes.
Extrait de "Josette en famille"

Au début du XXe siècle, Appleton a fréquenté Frank Calderon’s School of Animal Painting, puis the Royal Academy Of Arts où elle est demeurée jusqu'en 1906. C'est pendant qu'elle était à cet établissement qu'elle a commencé à illustrer "The Bad Mrs. Ginger", un livre qu'on peut consulter sur le site de l'International Children's Digital Library. Elle allait ensuite illustrer pas moins de 150 livres. Dont la série des Josette: La fête chez Josette, Josette et ses poupées, Josette, maîtresse d'école, Josette en famille, Josette fait des emplettes, Josette s'amuse...

C'est le Cotsen Children Library qui a acquis les biens d'Appleton dont un coffre rempli de poupées, jouets qui ont servi de modèles aux personnages de ses illustrations. Certains de ses contemporains allaient également utiliser cette technique et notamment A. A. Milne qui n'est autre que l'illustrateur de Winnie l'ourson

L'auteur H. C. Cradock est l'une des auteurs pour enfants de l'entre-deux-guerres les plus réputés. Cette enseignante s'est mis à l'écriture après son mariage avec un pasteur. Sa petite héroïne, Josette a 8 ans et c'est une fille unique qui possède 16 poupées pour lui tenir compagnie. L'enfant imagine des aventures pour chacune d'entre elles. H C Cradock sera emportée par une thrombose en 1941, à l'âge de 77 ans. ©
"Josette en famille" (1933), Fernand Nathan, éditeur

lundi 7 mars 2016

L'animal, miroir de notre propre humanité

Mahatma Gandhi a déclaré que la grandeur d'une civilisation se jaugeait à la façon dont les animaux étaient traités. La citation demeure on ne peut plus actuelle, même si les photos qui illustrent cet article proviennent de la revue "Je Sais Tout" de 1906. Des photos des fils Trump exhibant fièrement leurs trophées de chasse en Afrique aux scandales des abattoirs en France, le respect de la condition animale est encore loin d'être une évidence dans nos sociétés. 

Au début du XXe siècle, le bien-être animal relevait de la farce (au propre comme au figuré). En Belgique, il faut attendre 1929 pour que les actes de cruauté envers les animaux soient sanctionnés mais c'est seulement en 1986, qu'une loi relative au bien-être et à la protection de l'animal soit entérinée. En 2015, la France finit par considérer que les animaux sont des "êtres vivants doués de sensibilité". Ce qui en soi n'est pas la panacée, puisque les animaux peuvent toujours être vendus et exploités. De plus, ça ne remet pas en cause nos traditions comme la corrida, la chasse à courre, l'abattage rituel, etc. Mais en 1906, il en allait tout autrement.

L'animal était un objet comme les autres, une chose sans âme, sans sensibilité qu'on pouvait traiter avec toute l'inhumanité dont l'homme peut souvent faire preuve. L'horreur atteint des sommets lorsqu'on lit la légende de ce cliché avec cet homme posant entre la carcasse d'un éléphant et un éléphanteau, la trompe entortillée dans le fusil du colonial. "Le petit éléphant est, dit-on, le plus intelligent des animaux. Pourtant, son instinct ne l'avertit guère que le fusil qu'il entoure de sa trompe a servi à tuer sa mère dont il flaire le crâne, sans comprendre." Sans comprendre? Le cynisme de l'auteur de ces quelques lignes était probablement moins grand que son ignorance. 
 
Pendant ce temps, dans les abattoirs, on enregistrait des progrès, paraît-il, puisqu'en Allemagne, on adoptait le coup de feu contre les fronts du bétail, en place et lieu du... marteau. Et dans un musée, au début du XXe, on pouvait découvrir le corps d'une jeune Botokudine (qui provenait apparemment d'un groupe ethnique du Brésil). Celle-ci devait vraisemblablement avoir été capturée au XIXe siècle. En 1841, elle arrive à Londres, où elle a dû sans doute être considérée comme un phénomène de foire, mais ne survit que quelques mois. Comble de l'atrocité: son corps est plongé dans l'alcool et aurait été à l'époque tenu dans un état de parfaite conservation. La même année, le Zoo du Bronx enfermait un Africain dans la cage aux singes...

En 1834, Silvio Pellico écrivait: "Pour aimer l'humanité, il faut savoir en envisager, sans se scandaliser, les faiblesses et les vices." Certamente! ©

mercredi 3 février 2016

L'Electro-Vigueur transforme les plus faibles en hommes forts

Lorsqu'on découvrit l'électricité, beaucoup de gens ont cru que cette fée avait le pouvoir de guérir. N'était-elle pas la source de vie ? 
Certains scientifiques le pensaient, et pas seulement les savants fous du style Docteur Frankenstein. 
Témoin cette publicité extraite de "Je sais tout" de juin 1908. "Je sais tout" était un magazine encyclopédique illustré français créé en 1905, par Pierre Lafitte. ©